"Miles Davis et la quête du son" : un superbe roman graphique met en images la musique et le parcours du génial trompettiste

Dans cette BD, l'auteur Dave Chisholm s'emploie à raconter au scénario, au dessin et à la couleur, la quête obsessionnelle du son de l'inventeur du "cool jazz".

Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Planche et couverture du roman graphique "Miles Davis et la quête du son" de Dave Chisholm. (GLENAT)
Planche et couverture du roman graphique "Miles Davis et la quête du son" de Dave Chisholm. (GLENAT)

Comme Miles Davis, à qui il consacre ce superbe roman graphique, l'auteur Dave Chisholm est lui-même trompettiste de jazz. À la fois au scénario, au dessin et à la couleur, il raconte à la façon d'une autobiographie le parcours de ce musicien américain exigeant qui chercha durant plus de cinq décennies à se dépasser dans une quête obsessionnelle du son. Quel son ? Le sien. Un son singulier, libre et novateur, sans cesse renouvelé, qui le conduisit à révolutionner la musique à plusieurs reprises.

En tant que musicien, Dave Chisholm a une compréhension fine de la quête de son sujet. Mais il partage une autre passion artistique avec Miles Davis : les arts graphiques. "Une peinture, c'est de la musique qu'on peut voir, et la musique, c'est une peinture qu'on peut entendre", affirmait le musicien.

Une double-page du roman graphique "Miles Davis et la quête du son" de Dave Chisholm, lorsque le trompettiste se remet à jouer après de longues années occupées à noircir des carnets de dessins. (GLENAT)
Une double-page du roman graphique "Miles Davis et la quête du son" de Dave Chisholm, lorsque le trompettiste se remet à jouer après de longues années occupées à noircir des carnets de dessins. (GLENAT)

L'auteur choisit ainsi de démarrer son livre au début des années 1980, au moment où le génial trompettiste se retrouve privé de l'usage de sa main droite à la suite d'un infarctus. Son médecin lui recommande alors de pratiquer le dessin comme mode de rééducation. Se prenant au jeu, Miles Davis se met à noircir des dizaines de carnets de croquis au crayon, au feutre et au marqueur, avant de se lancer dans la peinture. Les dernières années de sa vie, il peignait (à l'acrylique) jusqu'à cinq heures par jour.

"Je vois des couleurs et des choses quand je joue", assurait Miles Davis. L'auteur le prend au mot et déploie dans ce livre de superbes trouvailles visuelles pour matérialiser en images le son du trompettiste en train de composer. Pour nous faire ressentir la création au plus près, il prend le parti de faire dialoguer musique et formes, sons et couleurs, tout au long de l'ouvrage. Un parti pris réjouissant.

Toujours plus innovant

La matière première du récit est constituée de propos du trompettiste, tirés de divers entretiens et des confessions sans fard de son autobiographie. Dave Chisholm en a retenu l'essentiel pour faire le portrait de l'artiste et nous donner l'impression d'entrer dans sa tête. On suit les recherches artistiques de cet ennemi de la redite, ses obsessions, notamment sa fascination pour une musique entendue enfant sur une route de campagne, sortie d'"arbres terrifiants dont tout le monde disait qu'ils abritaient des fantômes", ses expériences, ses découvertes et ses échecs.

Si l'auteur se concentre sur la musique et la création, il raconte aussi la vie privée tourmentée de Miles Davis sans oublier le côté obscur de sa personnalité : ses histoires sentimentales, nombreuses et mouvementées, dont son coup de foudre réciproque avec Juliette Gréco à Paris en 1949, sa nature jalouse et la violence dont il était capable envers certaines de ses compagnes, mais aussi les épisodes dépressifs et la toxicomanie qui sapera sa quête durant plusieurs années.

Une double-planche de "Miles Davis et la quête du son" de Dave Chisholm. (GLENAT)
Une double-planche de "Miles Davis et la quête du son" de Dave Chisholm. (GLENAT)

Miles Davis s'entoure des plus grands musiciens, dont il exige beaucoup. "Joue ce truc comme si tu venais de découvrir la musique", leur dit-il, "Ne joue pas ce qui est là… Joue ce qui n'est pas là". Il les veut toujours "plus créatifs, plus innovants" : "Je voulais qu'ils aillent au-delà d'eux-mêmes", résume-t-il. On parle ici de pointures qu'il a souvent révélées, comme Ron Carter, Wayne Shorter, Herbie Hancock, Keith Jarrett ou Chick Corea. "Ils étaient tous jeunes, et même si je leur apprenais beaucoup, ils m'apprenaient aussi énormément. Ce nouveau truc, ce truc libre", reconnaît-il.

Impossible dans ces conditions de passer à côté de l'immense guitariste Jimi Hendrix. La première rencontre au sommet a lieu en 1969, comme le raconte une très belle double-page du roman graphique. "Jimi était un type très sympa. Calme mais intense. Je lui jouais juste un truc au piano ou à la trompette et il pigeait plus vite que n'importe quel enfoiré. Il avait une oreille incroyable." Il l'attend pour jouer à New York lorsqu'il apprend sa mort survenue à Londres, en septembre 1970.

La rencontre au sommet de Miles Davis et Jimi Hendrix en 1969, une double-page du roman graphique "Miles Davis et la quête du son" de Dave Chisholm. (GLENAT)
La rencontre au sommet de Miles Davis et Jimi Hendrix en 1969, une double-page du roman graphique "Miles Davis et la quête du son" de Dave Chisholm. (GLENAT)

Durant cinquante ans, Miles Davis n'aura cessé d'innover, de Birth of the Cool (1957) avec lequel il invente le cool jazz, à Bitches Brew (1970), dans lequel il fusionne jazz, rock et funk, en passant par ses explorations du côté du jazz modal (Kind of Blue, 1959), du flamenco (Sketches of Spain, 1960) ou de la "télépathie musicale" (E.S.P., 1965). Car sa quête ne s'arrête jamais, et ce, jusqu'au bout, comme avec The Man With The Horn (1981), chef-d'œuvre inespéré sorti après de longues années durant lesquelles il ne touche plus son instrument et vit cloîtré chez lui sous perfusion de drogue, alcool et cachets.

Au dessin et à la couleur, Dave Chisholm fait preuve d'une inventivité constante. Ce sont des explosions de couleurs, en volutes, parfois douces ou plus anguleuses, liquides ou électriques, souvent psychédéliques, qui sortent de la trompette du maestro, épousant la vibration supposée du son. Tout est bien cadré et ordonné sur une page, et totalement barré sur la suivante, avec des cases disloquées tel du verre brisé. Certaines doubles-pages, y compris les dernières, sont une splendeur graphique. Dommage d'avoir choisi pour cet ouvrage un format moyen (18,2x26,5 cm) qui ne met pas en valeur ce travail autant qu'il l'aurait mérité.

"Miles Davis et la quête du son" de Dave Chisholm, traduit de l'anglais par Philippe Touboul (Glénat, 160 pages, 23 euros)

La couverture de "Miles Davis et la quête du son" de Dave Chisholm. (GLENAT)
La couverture de "Miles Davis et la quête du son" de Dave Chisholm. (GLENAT)

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