Dans la BD "Underground 2. Derviches tourneuses & punks cosmiques", Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog exhument de nouveaux trésors sonores oubliés

Voici un formidable ouvrage de passeurs, un accélérateur de particules sonores. À l'heure où les disquaires spécialisés et leurs précieux conseils se font de plus en plus rares, Arnaud Le Gouëfflec (texte) et Nicolas Moog (dessin) ont entrepris ces dernières années de pallier le manque.

Ce travail à quatre mains a débuté avec le roman graphique Underground (2021), véritable bible de la musique indépendante, dans lequel on pouvait découvrir ou redécouvrir une tripotée de génies fertiles, tels Moondog, Yma Sumac ou Lee Hazlewood. Leur collaboration s'est poursuivie l'an passé avec le formidable Vivre libre ou mourir, un roman graphique documentant l'histoire du punk rock français, en donnant la parole à ceux qui ont porté ce mouvement. Ils publient aujourd'hui Underground 2 et on ne peut que leur tirer notre chapeau.

Dynamiteurs de conventions

Comme dans le premier volume, il s'agit d'un travail scrupuleux de mise en lumière de musiciennes et musiciens méconnus du grand public, dont la vie nous est racontée en quelques pages, admirablement bien écrites (avec un point de vue, loin de la bio Wikipédia) et dessinées. Plus encore que dans la première livraison, les auteurs se penchent cette fois aussi sur des personnalités, voire des stars, dont ils s'attachent à montrer les innovations, et rendent hommage à une nuée de figures féminines de l'ombre.

On croise donc aussi bien Björk et Kate Bush que la reine du garage rock cambodgien d'avant les Khmers rouges Ros Serey Sothea, et l'on navigue de Brian Eno à Ennio Morricone, en passant par l'obscur beatnik Eden Ahbez, gourou malgré lui d'une exotica poétique indémodable.

Dans cette corne d'abondance, les surprises foisonnent, qu'elles soient de pures découvertes ou des noms que l'on ne s'attendait pas à y trouver, tels ceux d'Anne Sylvestre, Beck, Yoko Ono, Catherine Ribeiro, Siouxsie, Fela Anikulapo Kuti, Rita Mitsouko ou George Clinton, sans compter quelques pages délicieuses consacrées à Erik Satie. Toutes et tous ont leur place ici pour avoir fait preuve d'audace, expérimenté, fait sauter les codes, pulvérisé les orthodoxies, et renouvelé les approches de la musique.

Personne n'est sommé de les aimer tous. Ce roman graphique apparaît surtout comme une invitation à vagabonder selon l'humeur, à emprunter des chemins de traverse, à la rencontre d'un riche continent sonore immergé. Comme Brian Eno cherchant l'inspiration à travers son jeu de cartes de stratégies obliques, il faut avec cet ouvrage se laisser surprendre au fil des pages par l'une ou l'autre de ces exploratrices et autres sorciers du son.

Krautrock et physique quantique

La curiosité des mélomanes pourra ainsi être piquée par les pistes sonores de Gilbert Artman, qui enregistre en 1973 avec Lard Free une réponse française au krautrock de Can ou de Faust, avant de fonder Urban Sax. Celles de Pauline Oliveros, qui vise avec le "deep listening" l'expansion de conscience de l'auditeur et l'écoute profonde du monde alentour.

Celles de Basil Kirchin, dont la théorie rejoint celle de la physique quantique, ou encore celles de Jad Fair, qui détient sans doute le record du nombre de morceaux cachés à la fin d'un album (135 sur Superfine).

Les auteurs consacrent également une vingtaine de pages passionnantes et érudites aux musiques de flux (bourdon, mantra, ambient, drone, new age, chillout, transe), démontrant par la même occasion le pouvoir phénoménal de la musique et dévoilant quelques-uns de ses secrets.

Cette épaisse anthologie amoureuse des génies déviants de la musique, mise en scène et en images de façon inventive, à la fois respectueuse et pleine d'esprit, se termine par une copieuse discographie sélective. Ne reste plus aux chercheurs de pépites sonores qu'à se plonger avec délices dans cette terra incognita.

"Underground 2. Derviches tourneuses & punks cosmiques" d'Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog (Glénat, 336 pages, 30 euros) est paru le 14 mai 2025