"Tatouages, histoires de la Méditerranée" : sept pépites repérées dans l'exposition à voir tout l'été à la Vieille Charité de Marseille
Un beau parcours qui raconte le tatouage et ses différentes pratiques et significations à travers les âges, de l'Antiquité à nos jours, dans tout le bassin méditerranéen.
Le tatouage, qui connaît un engouement sans pareil depuis une quinzaine d'années (36% des Français sont tatoués en 2025), est répandu sur tout le pourtour méditerranéen depuis l'Antiquité. La Vieille Charité à Marseille, un ancien hospice du XVIIe siècle situé dans le quartier du Panier, consacre à cette pratique répandue une riche exposition, Tatouages en Méditerranée, à voir jusqu'au 28 septembre 2025.
Le tatouage y est décliné sous toutes ses formes : ornemental, thérapeutique, religieux, protecteur ou punitif, il est loin de n'être que l'apanage des marins et des truands. Au travers de plus de 250 objets, documents rares et œuvres d'art, le parcours détaille les différentes pratiques, de la scarification à l'aiguille et du marquage au fer au tampon, et toutes les démarches qui motivent et ont motivé de tatouer ou se faire tatouer, de gré ou de force, au fil des âges et jusqu'à aujourd'hui à travers les civilisations méditerranéennes.
Voici sept objets et documents qui ont particulièrement retenu notre attention dans cette exposition passionnante où il y a beaucoup à voir et à lire, qu'il faut prendre le temps de parcourir (comptez une heure minimum).
1"Fier d'être Marseillais"
En guise de préambule, ce voyage chronologique démarre par un détour contemporain, à Marseille, ville multiculturelle qui entretient un rapport charnel au tatouage, signe d'une identité culturelle forte. Des photos d'Anne Van Der Stegen et de Yohanne Lamoulère en témoignent. Logo de l'OM sur l'épaule, "Fier d'être Marseillais" inscrit sur l'avant-bras, représentation de la Bonne Mère (la basilique Notre-Dame de la Garde qui domine la ville) crânement dessinée sur la cuisse, et même lèvre intérieure tatouée "Marseillais" : les amoureux de la Cité phocéenne disent fièrement leur appartenance grâce au tatouage, jusqu'au cœur de leur intimité.
La première salle raconte aussi le tout premier salon de tatouage marseillais, ouvert en 1978 rue Saint-Vincent-de-Paul, par le couple Monik et Allan, rendez-vous, devenu mythique, des marines et des bikers. On y retrouve la devanture du salon, mais aussi du matériel, du dermographe au flacon d'eau de rose utilisé pour diluer l'encre de tatouage et modifier l'intensité de la couleur.
2Bol égyptien représentant une joueuse de luth
Cette exposition nous apprend que l'on tatouait déjà dans l'Égypte ancienne, et principalement les femmes. Retrouvé dans une tombe, ce bol bleu daté du Nouvel Empire (vers 1400-1300 ans avant J.-C) représente une musicienne presque nue, portant un tatouage sur la partie supérieure de sa jambe droite. Il représente une figure du dieu Bès, protecteur des musiciens, des danseurs et emblème du divertissement et de la fertilité.
Des statuettes de concubines funéraires retrouvées dans des tombes de pharaons, que l'on voit à côté de ce bol bleu, présentent, elles aussi, des tatouages soulignant la poitrine, le pubis, les cuisses ou les hanches. Ces marquages célébraient peut-être l'entrée des jeunes filles dans l'adolescence.
3 Le tatouage du matelot
Associé à une certaine image de la virilité, le tatouage a longtemps été considéré comme l'apanage des marginaux, des prisonniers et des marins. De fait, Platon évoque dès le Ve siècle avant J.-C l'usage du tatouage comme châtiment judiciaire pour les criminels. Dans l'Empire romain, il marque aussi les prisonniers de guerre et les esclaves. Aujourd'hui, en milieu carcéral, où ils restent pratiqués de façon clandestine, les tatouages servent à exprimer l'appartenance, la rébellion ou des sentiments personnels.
Chez les marins, les tatouages sont pratiqués depuis l'Antiquité. Ils font office de symboles protecteurs pour conjurer les périls de la mer, mais ils racontent aussi les lieux où l'individu est passé et les dangers qu'il a bravés. Ce faisant, les marins ont contribué à répandre la pratique sur tout le bassin méditerranéen et au-delà, faisant le lien entre les différentes cultures.
4Tampon de tatouage chrétien
Avouons-le, on ne s'attendait pas trouver le tatouage comme signe religieux chrétien. Le christianisme a effectivement contribué dans un premier temps à son déclin, avant de participer à son renouveau. En 316, l'empereur Constantin condamne la pratique du tatouage, notamment sur le visage, en précisant que celui-ci, "reflet de la beauté divine, ne doit pas être altéré". Le tatouage devient tabou.
Mais à partir du Moyen Âge, la pratique devient chez les chrétiens un moyen d'exprimer une appartenance à une communauté de croyants et aussi une forme de protection divine. Souvent réalisés sur les lieux de pèlerinage, les tatouages prennent la forme de croix, d'images du Christ, de la Vierge ou d'un saint, ou de mots comme "Justice de Dieu" ou de prières comme "Marie très sainte, aidez-moi". Arborés le plus souvent sur les avant-bras, ces tatouages dévotionnels et religieux sont réalisés au tampon trempé d'encre dont le motif sur la peau est ensuite piqué d'une aiguille pour faire pénétrer l'encre.
5Statuette féminine de Côte d'Ivoire
La pratique du tatouage existe dans plusieurs cultures de l'Afrique subsaharienne, où elle est souvent associée à la peinture corporelle et à la scarification (incisions ou brûlures de la peau dont la cicatrisation compose des motifs en relief). Ces modifications corporelles marquent l'appartenance d'un individu à sa culture tout en lui attribuant une place au sein de sa communauté selon son âge, son rang social ou son statut politique. Elles sont réalisées à des moments clés de la vie, lors d'initiations rituelles.
Couverte de tatouages et de scarifications, cette statuette, issue de la culture ivoirienne Attié, aurait eu une vocation de fécondité pour la personne à laquelle elle était destinée.
6Femmes algériennes en 1960
L'exposition consacre une large place aux tatouages dans les pays du Maghreb, en particulier à sa pratique depuis des millénaires dans les traditions amazighes (ou berbères), qui se caractérise par des motifs géométriques. Principalement réservé aux femmes, le tatouage indique un statut social (par exemple la situation maritale), mais comporte aussi une dimension spirituelle, notamment de protection contre le mauvais œil. Dans le contexte colonial, on découvre aussi les représentations de figures maghrébines tatouées, véhiculant un imaginaire exotique et stéréotypé, par exemple sur des affiches publicitaires pour les compagnies de transport maritime et ferroviaire au XXe siècle.
Dans les années 1950, alors que la tradition du tatouage déclinait face à la modernité, le photographe Lazhar Mansouri a photographié avec tendresse des femmes tatouées des Aurès, région montagneuse dont il est originaire. Changement d'ambiance avec Marc Garanger, missionné en 1960 pour réaliser les photographies d'identité de populations rurales contraintes au déplacement par l'armée française. Forcées de retirer leur voile, agressées dans leur intimité, ces femmes disent leur rage en foudroyant littéralement l'objectif du regard, comme on le voit sur ces clichés.
7Miss Cagole 2024
Ce voyage à travers l'histoire se termine au présent, alors que le tatouage, devenu très populaire, inspire les artistes et la mode, comme on le voit avec les tenues en trompe-l'œil de Jean Paul Gaultier. Bien qu'il touche désormais tous les milieux, "le tatouage conserve une fonction identitaire et politique, en particulier dans les sphères queer et féministes, où il symbolise l'appropriation du corps, la liberté individuelle et la diversité des identités", soulignent les cartels à l'exposition.
Les portraits réalisés par Gaelle Matata de Lisa Granado, lauréate 2024 du concours de Miss Cagole, organisé chaque année au bar Le Traquenard de la Plaine (Marseille), referment ce parcours de façon jubilatoire. Tatouée de différents motifs girly et d'un "Pay Me" provocateur sur le décolleté, Lisa Granado affirme sa différence et fait un pied de nez affirmé aux assignations à la pudeur et à la docilité. Pour elle, être une cagole (un mot souvent péjoratif, synonyme de vulgarité) est une fierté, et le tatouage est un puissant symbole de rébellion face aux normes patriarcales.
"Tatouages, histoires de la Méditerranée", exposition jusqu'au 28 septembre 2025, Centre de la Vieille Charité à Marseille, du mardi au dimanche de 9h à 18h, accès gratuit.
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