"L'art est dans la rue" au musée d'Orsay : focus sur cinq affiches du XIXe siècle entrées dans l'histoire
Les affiches se répandent de façon spectaculaire dans nos villes à partir du milieu du XIXe siècle, notamment à Paris. Symboles de la vie moderne, ces images offrent aux artistes un musée en plein vent.
Au printemps, le musée d'Orsay annonce la couleur avec deux expositions concomitantes particulièrement séduisantes. L'une est consacrée au peintre norvégien Christian Krohg (du 25 mars au 27 juillet) et l'autre à un art parfois mésestimé, celui de l'affiche (jusqu'au 6 juillet). Élaborée en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France, L'art est dans la rue retrace l'histoire de ces images dans le Paris du XIXe siècle. Trois cents œuvres et objets (tableaux, photos, films, presse lithographique manuelle, porte-affiches...) sont réunis pour retracer l'âge d'or de l'affiche.
Il s'agit d'expliquer comment ces placards, apparus officiellement au XVIe siècle sous François Ier, ont transformé la ville en investissant tous ses espaces vacants, des murs aux palissades, en passant par les couloirs de métro et jusqu'aux urinoirs. "Un Trafalgar de couleur et de rigolade", pour emprunter l'expression du critique d'art Félix Fénéon. Travaillant à leurs risques et périls, les colleurs d'affiches furent jusqu'à 8 000 dans la capitale. Ces images servirent de support à de nouvelles revendications politiques et sociales et de grands maîtres s'y sont illustrés : Toulouse-Lautrec, Bonnard, Steinlen, Vallotton, Chéret, Grasset, Jossot ou encore Mucha. En toute subjectivité, nous avons choisi de nous attarder sur cinq affiches présentées dans cette exposition aussi riche que spectaculaire.
1 La Goulue de Toulouse-Lautrec
Dans les années 1880, l'affiche devient un médium artistique à part entière. De tous les peintres ayant investi ce support, Toulouse-Lautrec reste le plus connu, l'homme qui a révolutionné la pratique. Sur le plancher de cette affiche, à gauche, il a laissé sa signature, un T et un L reliés par une barre horizontale formant le H de Henri, son prénom. Il fréquentait assidûment le bal du Moulin Rouge et c'est le directeur lui-même qui lui commanda cette affiche. L'originale mesure 1,90 mètre de haut sur 1,17 mètre de large. Son cadrage interpelle puisque certaines lettres, au sommet, sont coupées.
L'artiste traite les personnages sur trois plans. Au fond, les silhouettes anonymes des spectateurs, des bourgeois reconnaissables à leurs chapeaux, au centre, la célèbre Goulue danse le cancan en dévoilant sa culotte bouffante, une attitude scandaleuse pour l'époque, et devant, la silhouette grise et longiligne de Valentin le Désossé, alias Étienne Renaudin, un contorsionniste énigmatique, très réputé à Montmartre. Le peintre emploie peu de couleurs et les traite par de grands aplats. Il s'affranchit aussi des perspectives traditionnelles et s'autorise sur ce support une simplification des formes éminemment moderne.
2 La fillette du Chocolat Menier
Les affiches naissent et se développent avec l'essor de la consommation. Collées de façon désordonnée, elles prolifèrent à la fin du XIXe siècle et contribuent à la transformation de la ville. Un mobilier urbain spécifique leur est même dédié : la colonne Morris, présentée sous la verrière du musée d'Orsay à l'entrée de l'exposition. L'affiche doit interpeller et faire sourire les passants comme cette enfant, aux allures de petite fille modèle, qui signe sa bêtise en écrivant au mur la marque de son chocolat préféré.
L'affiche devient un moyen de communication de masse, au service de nouvelles stratégies commerciales. Il s'agit ici clairement d'attirer celle que l'on n'appelle pas encore la ménagère de moins de 50 ans, en séduisant ses enfants. Cette fillette dessinée en 1892 deviendra l'égérie de la marque. Dans son panier, l'affichiste Firmin Bouisset a pris soin de ranger plusieurs boîtes. Il indique même un prix de 5 centimes. La répétition de la marque devient l'une des clés de la publicité. Dans l'exposition, une autre affiche réalisée dans le même esprit montre un petit garçon croquant un biscuit Lu. Pour les visiteurs les plus âgés, ces publicités qui connurent un immense succès, auront plutôt un goût de madeleine...
3 Sarah Bernhardt sublimée par Mucha
Pour attirer la clientèle, les patrons de salle se livrent, par affiches interposées, une concurrence féroce. Dans le quartier parisien des Grands Boulevards, ces "visuels", comme on dit aujourd'hui, sont posés sur des chevalets devant l'entrée des salles, collés sur les murs et les colonnes Morris. Renouvelés régulièrement, ils participent à l'essor d'une culture de masse. Le monde des saltimbanques fascine les peintres et devient un sujet pictural en soi (Picasso, Seurat...).
Cette lithographie de 2,10 mètres de haut sur 78 cm de large, dévoilée avec son dessin original, est l'une des merveilles de l'exposition. Sarah Bernhardt, première comédienne à maîtriser son image, voulait être montrée à son avantage. Dans les années 1890, sa complicité avec Alphonse Mucha aboutira à la création de huit affiches, toutes iconiques. Le peintre, qui avait déjà dessiné l'actrice sur scène, la représente ici en Médée avec son glaive sanglant. Il donne sur ces longs tableaux une vision idéalisée de l'actrice qui contribuera à forger sa légende.
4 La politique croquée par Jossot
Les affiches au graphisme si singulier d'Henri Gustave Jossot se distinguent entre toutes. Qu'il s'agisse de vendre du Guignolet Cointreau ou des journaux anti-cléricaux, elles traduisent la conception que ce caricaturiste avait du nouveau média. Elle s'écrit en toutes lettres dans l'exposition : "L'affiche sur le mur doit hurler, elle doit violenter le regard des passants."
L'âge d'or de l'affiche advient dans une période troublée où la IIIe République est travaillée par une aspiration à de profonds changements sociaux. Les premières affiches illustrées politiques apparaissent dans ce contexte. Les murs prennent la parole. Sur cette affiche créée pour le lancement du journal L'Action en 1903, une main anonyme fait taire un curé, sous les yeux d'un capitaliste, d'un militaire et d'un magistrat. Histoire de dire qu'il est temps pour les clercs de ravaler leur salive.
5Le féminisme avec Clémentine-Hélène Dufau
Prenez le temps d'admirer cette dernière affiche, sans conteste l'une des plus belles de l'exposition, créée par l'artiste engagée Clémentine-Hélène Dufau. Notamment le drapé du magnifique châle noir de la femme située au centre. Cette affiche qui mesure 1 mètre de haut pour 1,40 mètre de large, fait également la publicité d'un nouveau journal, La Fronde, laïque et républicain, qui rassemble toutes les luttes féministes.
Elle réunit six femmes de tous âges et une fillette. Sur la gauche, l'une d'entre elles nous regarde, comme la petite fille rousse en bas. Deux femmes se tiennent par la main, une autre prend sa voisine par l'épaule. Tournées vers l'avenir, elles semblent observer Paris depuis une hauteur. On devine au loin la Seine entourant l'île de la Cité. Une lumière jaune éclaire le ciel. Comme une lueur d'espoir.
On ressort du musée d'Orsay en se jurant à l'avenir de regarder plus attentivement ces affiches qui nous environnent toujours, formant selon le joli mot de Roger Marx en 1896, "un musée en plein vent".
Exposition "L'art est dans la rue" jusqu'au 6 juillet 2025
Du mardi au dimanche de 9H30 à 18H, nocturne le jeudi jusqu'à 21H45
Plein tarif à 16 euros et tarif réduit à 13 euros
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