Berthe Morisot, une peintre impressionniste amoureuse de l'art du XVIIIe siècle, au musée Marmottan à Paris
Berthe Morisot, figure majeure de l'impressionnisme, avait une grande affinité avec les peintres du XVIIIe siècle. C'est ce que montre une belle exposition au musée Marmottan, qui met en regard les œuvres de l'artiste avec ses prédécesseurs du siècle des Lumières.
La peinture de Berthe Morisot, grand nom de l'impressionnisme, était aussi imprégnée de l'art du XVIIIe siècle, particulièrement celui de Jean-Honoré Fragonard, de François Boucher, d'Antoine Watteau et de Jean-Baptiste Perronneau, avec lequel elle a constamment dialogué très librement. C'est cet aspect de son œuvre que met en lumière le musée Marmottan Monet.
Pour son ami le poète Stéphane Mallarmé, l'art de Berthe Morisot était "une pointe de XVIIIe exaltée de présent". Couleurs, choix des sujets, goût pour le pastel, son travail présente tellement d'affinités avec celui des artistes du XVIIIe siècle que, de sa parenté artistique avec Fragonard, est née une légende selon laquelle elle serait la petite-fille, la petite-nièce, l'arrière-petite-fille ou l'arrière-petite-nièce du peintre.
Morisot grandit dans un décor XVIIIe
"Nous avons voulu nous interroger sur la raison pour laquelle Berthe Morisot a été comparée à partir de 1880 à Fragonard, presque systématiquement, par la critique. Nous voulions comprendre comment elle avait intégré ce qu'elle avait pu voir et regarder", explique Dominique d'Arnoult, historienne de l'art et co-commissaire de l'exposition avec Marianne Mathieu, également historienne de l'art.
D'abord, Berthe Morisot (1841-1895) a grandi dans un univers, un décor, un mobilier marqué par le XVIIIe siècle. Sa famille était très liée à la famille de Léon Riesener, petit-fils de Jean-Henri Riesener, un des plus grands ébénistes du XVIIIe. Morisot a beaucoup fréquenté l'hôtel particulier du cours Albert 1er construit par Léon Riesener autour de ses collections : meubles, tableau et tapisseries tissées d'après Boucher au milieu du XVIIIe. Léon Riesener est lui-même artiste, grand pastelliste, il enseigne chez lui la peinture à ses filles et à leurs amies.
Des peintures, des tapisseries d'après Boucher par Rosalie, la fille de Léon Riesener, ou son portrait au pastel par son père, un portrait monumental de Berthe Morisot réalisé chez les Riesener par sa grande amie Marcello, rendent compte de cet environnement.
La douceur de vivre
Et puis dans ses sujets, ses représentations de jeunes femmes de la bourgeoisie, dans ses portraits de sa fille Julie et d'autres enfants, Berthe Morisot, comme les artistes du XVIIIe, a beaucoup peint la douceur de vivre. Si après la Révolution française, l'art du XVIIIe n'est plus en vogue (il n'y a qu'un seul Watteau au Louvre), des centaines d'œuvres de Watteau, Fragonard ou Maurice Quentin de La Tour de la collection La Caze entrent en 1870 au musée, que Morisot fréquente régulièrement.
L'exposition rapproche un drapé de dos à la sanguine de Fragonard d'une Jeune femme arrosant un arbuste (1876) de la jeune artiste. Le tableau de Morisot reprend la pose et le drapé, transposé dans un décor contemporain. Ses peintures de jardins, très impressionnistes, sont en même temps une interprétation du "foisonnement de la nature qu'elle aimait tant chez Boucher, et une sensation d'éblouissement dont elle parle à plusieurs reprises", note Dominique d'Arnoult.
Au Louvre, elle copie deux figures d'un tableau de François Boucher (Vénus va demander les armes à Vulcain) dont elle interprète les tons clairs et la légèreté. Cette œuvre à part entière, elle l'accroche dans son propre salon-atelier. Les blancs, roses, bleus clairs et vibrants, on les retrouve dans une série de tableaux comme la Jeune femme en gris étendue de 1879 ou la Femme à sa toilette (1875-1880).
Liberté de touche et spontanéité
De Boucher, après la mort d'Eugène Manet, en 1892, elle va aussi copier un fragment de tableau, deux nymphes aquatiques entourées de roseaux, au musée des Beaux-Arts de Tours, lors d'une sorte de pèlerinage dans la ville où son mari aimait séjourner.
À partir de 1885, Berthe Morisot se consacre beaucoup au pastel, art prisé au XVIIIe siècle. Une exposition à la galerie Georges Petit a remis sur le devant de la scène les pastellistes du siècle passé, dont Jean-Baptiste Perronneau qui va l'inspirer. Son autoportrait à l'huile de 1885 en peintre, palette à la main, reprend la posture des portraits de Perronneau, "une pose typique du XVIIIe siècle, le buste de profil et la tête tournée vers le spectateur", avec "une franchise et une spontanéité du regard", explique la commissaire.
À partir de ce moment-là, elle va élaborer ses compositions et leurs harmonies de couleurs au pastel avant de les réaliser à l'huile. Ces esquisses lui permettent une plus grande liberté de touche et une grande spontanéité au pinceau.
Dissimuler la science sous la grâce
Si ses œuvres peuvent alors paraitre inachevées, ce n'est pas le cas, elle réfléchit beaucoup au moment où elle doit s'arrêter. "Elle a le sentiment qu'à un certain point, tout est là et que ce qu'elle pourrait ajouter ne ferait que fatiguer son œuvre, lui enlever quelque chose de sa spontanéité", explique Dominique d'Arnoult. Morisot a "naturellement cette qualité très dix-huitiémiste qu'on appelle la 'sprezzatura', la qualité de savoir dissimuler la science sous la grâce", et qui fait que, au XVIIIe siècle, on a commencé à s'intéresser à l'esquisse, à la collectionner. On comprend alors "que dans ce premier geste réside toute l'énigme créative de l'auteur".
Berthe Morisot avait-elle vraiment un lien de parenté avec Fragonard, une idée entretenue par ses proches eux-mêmes après sa mort ? Cette idée semblait corroborée par l'existence d'un portrait présumé de la grand-mère paternelle de l'artiste par le fils de Fragonard, Alexandre Evariste, resté dans la famille Morisot. Son grand-père, Tiburce Pierre Morisot, et Fragonard fils ont travaillé sur les mêmes chantiers à Saint-Cloud et à Fontainebleau et vivaient à deux rues d'écart. Ce qui pourrait expliquer l'existence de ce tableau.
"Des recherches généalogiques poussées ont été menées dans le cadre de la préparation de cette exposition et permettent de confirmer aujourd'hui avec certitude que Berthe Morisot n'est pas la descendante de Fragonard", indique Claire Gooden, attachée de conservation au musée Marmottan. Ce qui n'enlève rien, bien sûr, à la filiation artistique entre les deux artistes.
Berthe Morisot et l'art du XVIIIe siècle, Watteau, Boucher, Fragonard, Perronneau
musée Marmottan Monet
2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris
Tous les jours sauf les lundis, le 25 décembre, le 1er janvier et le 1er mai. Du mardi au dimanche 10h-18h, nocturne le jeudi jusqu'à 21h.
Tarifs : 14 euros / 9 euros
Du 18 octobre 2023 au 3 mars 2024
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