Une histoire allemande : l'imposante rétrospective Gerhard Richter à la Fondation Vuitton
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Après les rétrospectives de David Hockney, Joan Mitchell et Mark Rothko, la confrontation Warhol/Basquiat... Place à un autre maître de la peinture contemporaine à la Fondation Vuitton.
Soixante ans en 275 œuvres, de 1962 à 2024, tel est le pari de la rétrospective Gerhard Richter à la Fondation Vuitton. Le jour du vernissage, d'habitude si chahuteur, régnait un silence de cathédrale dans le bâtiment conçu par Frank Gehry. Il est probable que ce silence demeurera tout le long de l'exposition du 17 octobre 2025 au 2 mars 2026. Le silence, car le peintre allemand Gerhard Richter en impose par son œuvre, par son intégrité et ses doutes permanents sur la pratique de la peinture.
Gerhard Richter est né en 1932. La Seconde Guerre mondiale est son enfance. Son œuvre est imprégnée au plus profond des pigments sur la toile par l'histoire tragique de son pays.
L'Allemagne sur toile
Né à Dresde, ville détruite sur un tiers de sa surface, une ville presque effacée par les bombardements alliés. Dresde est une ville de l'ex-Allemagne de l'Est. Richter la quitte. Il passe à l'Ouest en 1961.
Un exil avec seulement quelques photos de famille dans une valise. Voici dans une des premières salles, Onkel Rudi, un jeune soldat de la Wehrmacht souriant. Rudi est son oncle et sera tué au combat. Sa tante, quant à elle, a été assassinée par les nazis dans le cadre de leur campagne d'euthanasie des malades. Rudi en vieille photographie de famille devient donc Onkel Rudi, une peinture sur toile en 1965, une des toiles marquant l'œuvre de Richter.
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Souriant, mais en uniforme, Richter se souvient de lui comme d'un homme drôle et plein de charme. De l'image de famille, Richter fait une peinture d'histoire qui dit : l'Allemagne fut nazie, nous avons été nazis, nos familles furent nazies.
Comme le rappelle Suzanne Pagé, directrice artistique de la Fondation, à franceinfo Culture : "L'Allemagne est déterminante pour lui, car c'est vraiment un artiste dont l'œuvre mêle la grande histoire et l'intime. Toute son œuvre, c'est l'histoire, le politique. La guerre a été déterminante pour lui et tout ce que ça charrie d'obscurité en Allemagne. L'Allemagne, vous vous souvenez de Allemagne, mère blafarde [film de 1980 de Helma Sanders-Brahms], c'est-à-dire l'Allemagne qui se tait."
Au fil de la visite, l'étage au-dessus, l'histoire allemande saute à nouveau à la figure du visiteur avec la série 18 octobre 1977. Ce sont les années "bande à Baader", groupe militant et terroriste d'extrême gauche qui lutte, pose des bombes et braque des banques. Aucune empathie avec les actes, mais encore une fois l'histoire se fige en peinture. Les militants emprisonnés et leurs portraits de suicidés (les membres de la bande à Baader emprisonnés ont mis fin à leurs jours) ou les scènes d'enterrement qui rappellent Courbet ou Manet ne sont plus des pages de magazines, mais des peintures radicales. Issues d'images de presse, de photos de magazine ou de reportages de télévision, les toiles grisâtres, floues, presque salies interrogent autant sur l'action de la guérilla que sur la répression d'une jeunesse en colère, mal menée et égarée.
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Dernière salle, au dernier étage et dernier regard sur le passé par l'artiste. Et le plus troublant, le plus bouleversant. En 2014, après une longue pause, Richter revient à la peinture et cherche depuis longtemps à créer une image traitant de la Shoah.
L'inspiration de la série de quatre grands formats, Birkenau, se trouve dans les seules photographies du camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau qui nous sont parvenues, prises par des prisonniers du Sonderkommando. Des images révélées par l'historien Didi-Huberman. Ces photos montrent "l'incinération des corps, un groupe de femmes allant vers la chambre à gaz et des arbres dans la lumière du soleil", nous dit le catalogue de l'exposition.
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Dans cette immense salle haute comme une cathédrale, quatre miroirs pour immerger le visiteur, quatre toiles abstraites et violentes et ces quatre seules images d'un camp d'extermination. La peinture de Richter a recouvert, a enseveli la photographie projetée sur la toile. Saisissante abstraction du génocide, mais le visiteur sait que plus rien ne cachera la Shoah et la brutalité de l'histoire de l'humanité qui dépasse de loin celle de l'Allemagne.
Suzanne Pagé résume ainsi la démarche du peintre : "Quand il explique pourquoi cette série et pourquoi il n'a pas pu faire une peinture figurative, il dit, ce sont ses termes, par honte, par scrupule ou par une espèce de sentiment religieux." Et elle rajoute : "Ce sont ses propres termes et c'est vraiment très fort, et on sent tout ça dans cette série qui est vraiment bouleversante."
Hors toute catégorie
Gerhard Richter ne se laissera jamais ranger dans une quelconque catégorie : abstrait ou figuratif, couleurs criardes ou noir et blanc sinistres, portraitiste ou paysagiste, réaliste ou expressionniste, foin des étiquettes. Il ira jusqu'à déclarer : "Je n'obéis à aucune intention, à aucun système, à aucune tendance ; je n'ai ni programme, ni style, ni prétention. J'aime l'incertitude, l'infini et l'insécurité permanente."
Ce que Suzanne Pagé traduit ainsi : "En tant que peintre, il se veut faiseur d'image." Dès le début de sa carrière, dès ces premières œuvres, Richter s'empare donc des photographies pour peindre. Photos de famille, image de presse, il crée les "Photos-peintures".
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Et apparaît sa signature : ce flou léger, troublant, mystérieux. Rentrons dans un peu de technique et des secrets de l'atelier. Ce flou est obtenu par le glissement du pinceau sur la surface peinte encore humide ou par le racloir pour flouter les grands formats.
L'image en est d'autant plus saisissante qu'elle perd sa lisibilité, sa véracité, si jamais une image avait une véracité, telle est la démonstration du peintre.
Le flou de Richter
Le flou de Richter, Suzanne Pagé l'interprète pour nous : "Le flou, c'est le doute, c'est ça qui est extraordinaire. C'est quelque chose de très beau, une maîtrise totale, donc c'est très très bien peint." Elle rajoute, car elle connaît bien sa méthode de travail dans l'atelier, qu'il fait "un pacte avec le hasard. Il cherche la beauté. Mais aussi dans son esprit, la beauté, c'est une idée du juste".
Lui-même dira de sa série S. et enfants représentant sa compagne allaitant leur premier enfant : "C'est une tentative de créer un motif kitsch de type Salon en conjuguant le ringard et le sentimental." Il fallait oser le dire dans ces termes, mais ces portraits intimes dégagent l'émotion des grands portraitistes.
Et même son autoportrait, son rare et unique autoportrait, plonge le visiteur dans ce mystère. Suzanne Pagé, qui connaît le peintre depuis les années 1970, quand elle l'exposait au Musée d'art moderne de Paris, insiste pour dire que cette toile raconte l'homme derrière l'artiste : "C'est un artiste taiseux, il est tellement pudique. Son autoportrait le prouve, sur cette toile, il disparaît." Elle se souvient aussi qu'il était jugé trop germanique ou ne sachant pas choisir entre abstraction et figuration par les critiques. Le temps des écoles dogmatiques aurait-il changé et Gerhard Richter n'aurait-il pas été en avance sur son temps ?
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Cette rétrospective au parcours chronologique réunit aussi sculptures en acier et en verre, dessins au crayon et à l'encre et aquarelles dans une scénographie sobre. Il fallait bien cela pour un monument qui jamais ne deviendra un classique tant il surprend et trouble le regard du visiteur avec délicatesse et force, avec finesse et radicalité. En fait, la peinture de Gerhard Richter est un oxymore.
Gerhard Richter à la Fondation Vuitton, du 17 octobre 2025 au 2 mars 2026, 8 avenue du Mahatma Gandhi, bois de Boulogne, 75116 Paris. Tarifs 5 à 32 euros. Horaires : 10h-20h
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