Exposition au musée de l'Armée : six objets pour illustrer la résistance des artistes exilés pendant la Seconde Guerre mondiale

Le musée de l'Armée consacre une exposition opportune à ces femmes et à ces hommes, contraints de fuir la France de Vichy, qui ont soutenu la Résistance de multiples façons depuis leur lieu d'exil.

Article rédigé par Valérie Gaget
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Jean Carlu, affiche, "Liberté, Égalité, Fraternité, La Nouvelle Bastille", vers 1942, présentée dans l'exposition "Un exil combattant"  au musée de l'Armée, du 28 février au 22 juin 2025. (MUSEE DE L'ORDRE DE LA LIBERATION)
Jean Carlu, affiche, "Liberté, Égalité, Fraternité, La Nouvelle Bastille", vers 1942, présentée dans l'exposition "Un exil combattant" au musée de l'Armée, du 28 février au 22 juin 2025. (MUSEE DE L'ORDRE DE LA LIBERATION)

Intitulée Un exil combattant. Les artistes et la France 1939-1945, l'exposition organisée jusqu'au dimanche 22 juin au musée de l'Armée, dans l'hôtel des Invalides, à Paris, participe des commémorations organisées pour les 80 ans de la Libération. Elle révèle comment les artistes et les intellectuels exilés (juifs, opposants au fascisme et au nazisme, militants ou responsables politiques, journalistes, français ou étrangers...) ont mis leur talent et leur créativité au service de la Résistance et de la défense des valeurs de liberté. Le parcours est structuré en quatre zones géographiques. Avec l'aide de Vincent Giraudier, chef du département de l'historial Charles de Gaulle et de Sylvie Le Ray-Burimi, conservateur en chef du patrimoine, tous deux commissaires de l'exposition, nous avons sélectionné, six pièces particulièrement remarquables présentées dans les vitrines.

1 Le fanion de la voiture du général de Gaulle à Londres

Fanion de la voiture de Charles de Gaulle à Londres, présenté dans l'exposition "Un exil combattant" au musée de l'Armée, du 26 février au 22 juin 2025. (PARIS MUSEE DE L'ARMEE DIST. RMN-GP / MARIE BOUR)
Fanion de la voiture de Charles de Gaulle à Londres, présenté dans l'exposition "Un exil combattant" au musée de l'Armée, du 26 février au 22 juin 2025. (PARIS MUSEE DE L'ARMEE DIST. RMN-GP / MARIE BOUR)

Ses couleurs sont fanées et il est un peu déchiré du côté droit. Comme l'esprit de résistance, il a flotté pendant la guerre dans les rues de Londres. Durant l'été 1940, Étienne Bellanger, directeur de Cartier dans la capitale anglaise, devient un proche du général de Gaulle et de sa famille. Il lui fournit un appui logistique dans la création de la France libre, notamment des locaux. Ce petit drapeau réalisé par son épouse orne la voiture qu'il met à sa disposition. "C'est le premier fanion à croix de Lorraine de la première voiture du général de Gaulle à Londres", explique fièrement Vincent Giraudier. À proximité, une vitrine présente les broches conçues par Jeanne Toussaint pour la maison Cartier pendant l'Occupation : l'une représente des oiseaux en cage et l'autre des oiseaux libérés. Même les bijoux ont sifflé l'air de la résistance. Deux petits insignes méritent également l'attention. Le général de Gaulle les portait en permanence sur sa tenue : celui des Forces françaises libres (FFL) et celui des Forces navales françaises libres (FNFL), créées à la suite de l'Appel du 18 juin 1940. Deux décorations chères à son cœur.

2 Le manuscrit du "Chant des partisans"

Maurice Druon et Joseph Kessel, manuscrit original du "Chant des partisans" présenté dans l'exposition "Un exil combattant" au musée de l'Armée, à Paris, du 26 février au 22 juin 2025. (MUSEE DE LA LEGION D'HONNEUR PARIS)
Maurice Druon et Joseph Kessel, manuscrit original du "Chant des partisans" présenté dans l'exposition "Un exil combattant" au musée de l'Armée, à Paris, du 26 février au 22 juin 2025. (MUSEE DE LA LEGION D'HONNEUR PARIS)

Sur un papier jauni, avec quelques ratures et des annotations au crayon, les paroles d'une chanson devenue l'hymne et le chant de ralliement de la Résistance : "Ami entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ? Ami entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne ?" Son titre initial, Les Partisans, est sous-titré en anglais par Underground Song, que l'on pourrait traduire par Chanson de l'ombre. Le journaliste Joseph Kessel et son neveu, l'écrivain Maurice Druon, ont écrit ces paroles en français le alors qu'ils venaient de rejoindre les Forces françaises libres, à Londres. Ils l'ont fait à la demande d'Emmanuel d'Astier de la Vigerie qui déclara : "Rien n'unit les hommes au combat comme une chanson. Nous en avons d'autant plus besoin que nous sommes des combattants qui ne se connaissent pas." Ce manuscrit a été classé monument historique le 8 décembre 2006.

3 La guitare d'Anna Marly

Guitare classique d'Anna Marly présentée avec son portrait dans l'exposition "Un exil combattant" au musée de l'Armée à Paris, du 26 février au 22 juin 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)
Guitare classique d'Anna Marly présentée avec son portrait dans l'exposition "Un exil combattant" au musée de l'Armée à Paris, du 26 février au 22 juin 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

Anna Marly, musicienne française d'origine russe, a rejoint Londres en 1941 où elle s'est engagée comme cantinière. Elle compose à la guitare la musique du Chant des partisans en s'inspirant d'un chant russe tiré d'une ancienne mélodie populaire slave. Le corps féminin des Françaises libres a été créé le 7 novembre 1940, à Londres, pour permettre aux femmes de suppléer les hommes partis au combat en remplissant différentes fonctions, d'employées de bureau à conductrices de véhicules. Il deviendra en 1941 le "corps des volontaires féminines françaises". L'exposition présente le laissez-passer d'Anna Marly et sa guitare ornée d'un ruban tricolore.

4L'atelier de Zadkine à New York

L'atelier new-yorkais d'Ossip Zadkine (1888-1967) reconstitué dans la scénographie de l'exposition "Un exil combattant" au musée de l'Armée, à Paris, du 26 février au 22 juin 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)
L'atelier new-yorkais d'Ossip Zadkine (1888-1967) reconstitué dans la scénographie de l'exposition "Un exil combattant" au musée de l'Armée, à Paris, du 26 février au 22 juin 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

Une superbe vitrine reproduit, au sein de l'exposition, l'atelier de ce peintre et sculpteur juif français d'origine biélorusse. Devant une photo d'archive, elle réunit plusieurs œuvres créées pendant son exil américain. Certaines traduisent son angoisse et sa culpabilité d'avoir dû laisser son épouse, la peintre Valentine Prax, sur le territoire français. Le bronze, Arlequin hurlant est une sorte d'autoportrait montrant sa révolte en même temps que sa volonté farouche de continuer à œuvrer. La vitrine dévoile aussi une étude pour La Prisonnière, l'une de ses sculptures les plus connues. Une femme entravée, bloquée par des grilles. C'est la vision qu'il avait de son épouse prise en étau entre l'occupant allemand et le régime collaborationniste de Vichy, et bien sûr une métaphore de la France prisonnière de ces forces hostiles. L'exposition met aussi en valeur ses figures de résilience : le coq gaulois, le Phénix renaissant de ses cendres et des bustes d'écrivains résistants comme celui de François Mauriac, magnifique sculpture qu'il réalisa de mémoire depuis New York. Ces œuvres arrivées récemment au musée Zadkine sont exposées en France pour la première fois.

5 Le mobile "France Forever" de Calder

Alexander Calder, "Mobile à la croix de Lorraine" dit "France Forever", 1942, présenté dans l'exposition "Un exil combattant" au musée de l'Armée, à Paris, du 26 février au 22 juin 2025. (PARIS MUSEE DE L'ARMEE DIST. GRAND PALAIS RMN / EMILIE CAMBIER / 2025 CALDER FOUNDATION NEW YORK ADAGP PARIS)
Alexander Calder, "Mobile à la croix de Lorraine" dit "France Forever", 1942, présenté dans l'exposition "Un exil combattant" au musée de l'Armée, à Paris, du 26 février au 22 juin 2025. (PARIS MUSEE DE L'ARMEE DIST. GRAND PALAIS RMN / EMILIE CAMBIER / 2025 CALDER FOUNDATION NEW YORK ADAGP PARIS)

Beaucoup d'exilés ont transité par la villa Air Bel de Marseille qui abritait les bureaux du "Comité de sauvetage d'urgence" fondé par le journaliste américain Varian Fry. En 1940 et 1941, le sculpteur Calder soutient ces artistes expatriés en facilitant leur arrivée et leur intégration aux États-Unis. Il se rapproche du mouvement France Forever, association de droit américain qui regroupe des dizaines de milliers de francophiles et organise des ventes au profit des forces françaises combattant dans la Résistance. Il leur offre à l'automne 1942 ce mobile en bois bleu, blanc, rouge, à croix de Lorraine, emblème de la France Libre. L'exposition présente aussi deux broches en argent découpé réalisées par l'artiste. Il offrira l'une d'entre elles à la grande résistante Geneviève de Gaulle-Anthonioz, nièce du général, en témoignage d'admiration.

6 Le barda du soldat Jean Gabin

La vitrine consacrée à Jean Gabin avec son uniforme de second-maître, son équipement, sa carte d'ancien combattant de la 2e division blindée et la photo de l'équipage du char Souffleur II, au musée de l'Armée, le 25 février 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)
La vitrine consacrée à Jean Gabin avec son uniforme de second-maître, son équipement, sa carte d'ancien combattant de la 2e division blindée et la photo de l'équipage du char Souffleur II, au musée de l'Armée, le 25 février 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

Son vrai nom, Jean Moncorgé, est inscrit sur ses bagages, tout près de celui de Gabin, son célèbre pseudonyme. Le comédien est déjà une star quand la guerre éclate en 1939. Il se réfugie d'abord dans le sud de la France, mais quand les Allemands lui demandent de tourner des films pour eux, il refuse et s'exile aux États-Unis en février 1941. Gabin rencontre Marlene Dietrich, une autre exilée, et tourne deux films à Hollywood, sans grand intérêt selon lui. Il s'ennuie et veut partir combattre sur le front. La Metro Goldwyn Meyer (MGM) a demandé qu'il finisse d'abord le tournage de L'Imposteur, réalisé par un autre Français en exil, Julien Duvivier, à la gloire des Forces françaises libres. En 1943, Gabin rejoint enfin les soldats de la 2e division blindée du général Leclerc. Il devient chef de char (une superbe photo le montre au milieu de ses hommes) et ira jusqu'à Berchtesgaden, le nid d'aigle d'Adolf Hitler, en mai 1945. Après la guerre, une vidéo en témoigne, l'acteur restera discret sur cette période de sa vie. Refusant de jouer les héros, Jean Moncorgé estimait n'avoir fait que son devoir, comme ces milliers d'exilés ayant combattu le fascisme aux quatre coins du monde. L'exposition constitue une piqûre de rappel salutaire en ces temps géopolitiques troublés.

"Un exil combattant. Les artistes et la France 1939-1945", jusqu'au 22 juin 2025, au musée de l'Armée-Invalides, 129 rue de Grenelle, 75007 Paris.
Ouvert tous les jours de 10h à 18h, nocturne le 1er vendredi de chaque mois jusqu'à 22h. Plein tarif à 17 euros et tarif réduit à 12 euros.

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