RENCONTRE. Deux designers imaginent leur monde de demain
Avoir une idée. La rendre concrète. Palpable. Samuel et François sont designers. L’un en devenir, l’autre, l’un des plus réputés de France. Et un objectif commun. Dessiner le monde demain, en s’en servant et en le respectant. Nous sommes allés les rencontrer à l'ENSCI, le temple du design.
De la poussière partout. Un bruit assourdissant. Celui des machines-outils sur lesquels s’agitent une dizaine d’étudiants. Nous sommes dans les ateliers de l’ENSCI (École nationale supérieure de création industrielle), largement considérée comme la meilleure école de design industriel de France.
Non loin, seul, au beau milieu d’une immense pièce aux allures de hangar d’entreprise de construction, un jeune homme, devant une planche en bois montée sur trépied, tripote d’étranges petits objets. Sorte de contenants qu’on croirait en terre cuite. À côté, une chaise trône fièrement. "En fait, j’ai réalisé tous ces objets à partir d’algues", tonne-t-il. Une première en France pour du mobilier.
Samuel Tomatis a 24 ans. Sourire large et œil rieur, il est inscrit depuis le mois de septembre à l’ENSCI. Il en ressortira, dans quelques mois, avec un master spécialisé création et technologie contemporaine. Enfin, si tout se passe bien. En tout cas, il ne semble pas inquiet pour un sou.
"Les claques, ça fait grandir"
Il faut dire que le designer en herbe a eu le temps de rouler sa bosse. Après un bac Littéraire option art plastique, il s’inscrit en fac d’arts appliqués à Toulouse. Formation qu’il abandonnera rapidement. "C’était vaste et plutôt scolaire. J’en ai eu marre et j’ai arrêté. Ça a été compliqué après cette expérience. J’ai eu un passage à vide. Une grosse période de doute. Mais les claques, c’est ça qui fait grandir". Car cette passion des objets, de la création, il l’a depuis tout petit. "J’ai toujours aimé bricoler. Je passais, gamin, des journées dans le garage de mon grand-père".Alors, pas question de s’arrêter là. Direction Paris et LISAA (l’institut supérieur des arts appliqués), où il va suivre une formation d’archi-design. Une école privée. Plus chère et pas toujours aussi réputée que certaines formations publiques dans le genre. "Certes le coût était plus important mais LISAA avait l’avantage d’être l’une des deux seules écoles à proposer ce double cursus, architecture-design en même temps. De toute façon je pense que ce n’est pas l’école qui fait le designer. Et puis, je n’étais pas sûr d’avoir les écoles publiques. Mon dossier scolaire, en sortant du lycée, n’était pas franchement glorieux. J’étais pourtant prévenu, mais que veux-tu, à 16-17 ans, on n’écoute pas toujours ses profs", sourit-il.
Algue, mon amour
Et pendant quatre ans, au gré de ses différents projets, des cours de techniques, d’infographie et de ses stages, le design apparaîtra pour lui comme une évidence. "Il me permettait d’être beaucoup plus en contact avec l’objet. De manipuler plus facilement la matière. Retranscrire plus rapidement une pensée en un objet concret, palpable. C’est un vrai mode d’expression pour moi". Dessiner le monde de demain, en s’en servant, et surtout, en le respectant. "Au boulot, comme dans la vie", précise celui qui préfère le stop au train quand il part en voyage et le vélo au métro à Paris. Mais c’est principalement dans sa pratique que cette démarche écolo prend sens. Pour l’un de ses projets de fin d’année il va imaginer une plateforme éphémère qui durerait le temps d’une marée. Un espace divisé en trois, parmi lesquels un show room, où il présenterait ses objets en algue.
"J’ai voulu travailler de nouvelles matières et proposer des solutions alternatives pour lutter contre l’épuisement des ressources fossiles. Et j’ai choisi de recycler l’algue, cette biomasse inépuisable dans la limite de son respect par l’homme, pour en faire un matériau premier, comme le bois ou le béton". Un projet qui va séduire son jury et qui lui vaudra d’être major de sa promo, avec les félicitations, avant qu’il ne soit accepté à l’ENSCI, "le temple du design", selon lui, avec son projet et ses algues sous les bras. "J’en profiterai pour continuer à le faire avancer". Après avoir fait le petit chimiste pour rendre sa matière solide, il y a créé une chaise, une table basse, des contenants et une lampe bioluminescente. Bientôt, un textile toujours à base d’algues verra le jour. Les partenariats s’installent peu à peu. L’occasion pour un jeune homme qui aimerait à terme monter son propre studio, de se faire un nom.
Légèreté
Un nom, lui, voilà quelques années qu’il a fait le sien. François Azambourg est aujourd’hui l’un des designers français les plus réputés. Lauréat de la Villa Medicis hors les murs, du Grand Prix du Design de Paris ou du concours du Musée des Arts Décoratifs, il a présenté des projets pour les plus grands éditeurs. Des mallettes pour Hermès, une collection de chaises et tabourets éditées par Capellini. Ou une lampe Chapelière aux éditions Serge Mouille. Avec toujours, dans ces objets, une certaine idée de la légèreté. C’est au 4e étage, dans une immense pièce, sorte de salle d’exposition foutraque, que nous le retrouvons. Autour de lui, c’est l’effervescence. Quelques étudiants assis à même le sol, achèvent des croquis. D’autres en accrochent au mur. Depuis 10 ans, il enseigne à l’ENSCI. Une école pour laquelle il a "tout lâché". "J’ai enseigné à l’école Boulle, puis parallèlement à Camondo. Mais ici, c’est différent. On construit une réelle pédagogie de groupe".
Car l’ENSCI, ce n’est pas vraiment une école. Et malgré ses allures de petite usine ouverte 24h/24, elle n’est pas non plus encore une entreprise. François Azambourg n’y dispense pas de cours théorique mais accompagne les projets des étudiants. Sélectionnés tous les ans, ils ne forment d’ailleurs pas de classes mais se mêlent au gré des projets semestriels, de la première à la dernière année. "Nous sommes loin ici du rapport prof-étudiant. D’ailleurs personnellement, j’ai toujours détesté mes profs", sourit-il. "Nous sommes ici dans la collaboration".
Le design, il l’a d’abord appris sur le tas. Pour payer ses études aux Beaux-Arts puis à Olivier-de-Serre, il se met à travailler avec des architectes d’intérieur et commence à dessiner du mobilier. Ce bricoleur dans l’âme qui tout petit déjà "fabriquait des avions qui le rendait fou de joie" en fera son métier. "Ça a glissé petit à petit. J’ai exposé au VIA, régulièrement pendant cinq ans, et les éditeurs ont commencé à s’intéresser à moi. Ensuite, les choses s’entretiennent d’elles-mêmes", souffle-t-il, calmement.
"Être animé par ce qu’on fait"
Aujourd’hui, la donne a changé et il parait impensable de devenir designer, comme ça, sans trop l’avoir cherché. Les études sont longues et la concurrence toujours plus féroce. "Il y a beaucoup plus de monde sur le marché", reconnaît François Azambourg. "Mais ce qui a vraiment changé, c’est l’acception du mot design. Il étend désormais son influence dans des couches très profondes et très différentes. Il est totalement désectorisé. Un ancien élève de l’ENSCI fait aujourd’hui des décors de théâtre et ça peut être perçu comme du design".Peu importe, selon le designer pour qui l’essentiel dans ce métier est d’être "animé par ce qu’on fait. Les étudiants doivent aller vers les choses qui leur sont faciles et qui leur procurent du plaisir". Une bien belle leçon d’enseignement.
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