"Un été au Havre" : des œuvres d'art hors norme s'imposent dans la ville

Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 12min
Une cabine de bain revue et revisitée par Elsa et Johanna pour "Un été au Havre". (ELSA ET JOHANNA)
Une cabine de bain revue et revisitée par Elsa et Johanna pour "Un été au Havre". (ELSA ET JOHANNA)

Depuis 2017, la ville du Havre à l'architecture de béton et moderniste d'Auguste Perret est la cité idéale pour accueillir l'art monumental et contemporain. Comme le répète Gaël Charbau, le directeur artistique de la manifestation : "Au Havre, on ne vient pas poser son œuvre, on vient dialoguer avec la ville."

Signe des temps, le merchandising d'Un été au Havre comprend cette année un éventail aux couleurs de Matisse. Cet instrument semblait plutôt s'adresser au public de Séville ou d'Arles. Mais les temps changent comme le climat, et au Havre, on sait que ce sera l'une des premières villes de France à être engloutie par la mer.

Alors, pour sa neuvième édition, ce grand rassemblement de l'art monumental contemporain, se penche sur le dérèglement climatique, mais aussi sur les guerres, sur les rêves, sur le vent et sur le genre. Jusqu'au 21 septembre, des œuvres envahissent les rues, les plages et les recoins de la ville : le temps d'un été, la ville change de décor. Parcours en dix lieux et dix artistes.

1 Elsa et Johanna détournent la cabine de bain

Elsa et Johanna devant une des cabines de bain devenue "A cabine with a view". (CHRISTOPHE AIRAUD / FRANCEINFO CULTURE)
Elsa et Johanna devant une des cabines de bain devenue "A cabine with a view". (CHRISTOPHE AIRAUD / FRANCEINFO CULTURE)

Elles sont huit sur la place de la mairie, sur un quai, sur une plage. Ce sont les huit cabines de plage devenues théâtres de poupée, boîtes à jouet, dioramas par Elsa et Johanna. Les deux jeunes artistes sont connues pour leurs photographies, des autofictions, des mises en scène où elles interprètent les personnages. Une mise en abyme de photographes et de modèles.

"Quand nous avons découvert Le Havre, nous avons regardé la ville comme un décor de cinéma. Et les cabines de bain de la plage sont comme un travelling de vie quand on les observe en marchant", nous disent-elles. Ainsi, l'idée de diorama poétique, enfantin, mais aussi politique et surtout drôle est née. Deux mètres sur deux mètres sur deux mètres pour raconter un peu de l'histoire intime et collective de la ville, de ses habitants, de son passé.

"Nous voulions garder l'esprit de l'été et que notre travail parle à tous. C'est un univers balnéaire mais aussi lynchéen et hitchcockien", ajoutent-elles. Avec Elsa et Johanna, la cabine de bain fétiche du Havre fait son cinéma et la nuit, éclairées, les boîtes sont des bijoux de rêverie.

2Louis-Cyprien Rials transporte Mossoul au Havre

Il faut monter sur les hauteurs du Havre pour découvrir l'œuvre la plus poétique et politique de cette édition. Trois monumentales portes en albâtre forment un petit square de calme et de sérénité, un temple pour la contemplation. Une porte juive, une porte chrétienne, une porte musulmane. Les trois religions du Livre réunies et unies.

Ce que résume son auteur, Louis-Cyprien Rials par ce mot : "C'est un monument suspendu dans les jardins suspendus du Havre comme à Babylone." L'artiste français, après avoir vécu en ex-Yougoslavie et en Somalie, partage son temps entre la France et l'Irak, et plus particulièrement à Mossoul.

"Les Portes de Mossoul" de Louis-Cyprien Rials. (ANNE BETTINA BRUNET)
"Les Portes de Mossoul" de Louis-Cyprien Rials. (ANNE BETTINA BRUNET)

Mossoul a le triste privilège de partager avec Le Havre une destruction massive et violente par temps de guerre. "La libération de Mossoul a été signe de destruction", nous dit Louis-Cyprien Rials. Ces trois portes, réalisées à Mossoul avec l'aide d'artisans de grand talent, reproduisent ce qui était une tradition pour les riches bourgeois de cette ville qui signifie "le point de liaison" en arabe. Les Portes de Mossoul sont réalisées sous le haut patronage de l'Unesco.

Louis-Cyprien Rials devant son œuvre, "Les Portes de Mossoul", présentée au Havre. (CHRISTOPHE AIRAUD / FRANCEINFO CULTURE)
Louis-Cyprien Rials devant son œuvre, "Les Portes de Mossoul", présentée au Havre. (CHRISTOPHE AIRAUD / FRANCEINFO CULTURE)

Devant leurs demeures, les habitants de Mossoul ornaient leurs entrées par ces majestueuses portes. Agrandies et aussi finement décorées que les originaux maintenant disparus, elles racontent les trois religions qui savaient vivre ensemble à une époque pas si lointaine. Pour l'artiste aux allures de bourlingueur humaniste, ce fut un long parcours du combattant pour que débarquent au Havre ces trois portes : "Ce sont des antiquités du futur, j'ignore leurs destins", ajoute Louis-Cyprien Rials. "Comme toutes personnes en exil, ces œuvres ont un avenir incertain."

Pour Un été au Havre, c'est une étape indispensable, un lieu de recueillement au son des cris d'oiseau. À voir absolument.

3Grégory Chatonsky, le futur et l'IA

C'est un habitué d'Un été au Havre, Grégory Chatonsky. Depuis 2023, il crée une ville imaginaire, un Havre du futur. Pour cette édition, s'associant avec l'IA comme souvent dans son travail, voici Une ville qui n'existait pas (épisode 3). Le principe : l'IA chaque jour bâtit un immeuble, une maison, et l'installe sur une armature d'acier représentant le plan de la ville. Ainsi se dévoile jour après jour une cité moderniste, sorte de Lego poétique, un avatar du Havre de Perret. Mais l'œuvre ne serait que jeu d'enfant si ne planait au-dessus de cette évocation le fameux changement climatique.

Image de l'œuvre de Grégory Chatonsky, "La ville qui n'existait pas" (épisode 3). (GREGORY CHATONSKY)
Image de l'œuvre de Grégory Chatonsky, "La ville qui n'existait pas" (épisode 3). (GREGORY CHATONSKY)

Grégory Chatonsky décrypte à franceinfo Culture son projet : "Je plonge l'histoire de cette ville qui en a vu des vertes et des pas mûres dans l'IA. Le Havre sera l'une des premières villes à disparaître sous l'eau. Je travaille sur ces changements mais de manière onirique."

À la Maison de l'été – point de départ du parcours artistique –, ce dispositif aux allures de science-fiction s'accompagne d'un présentoir de cartes postales. Autres temps pour 25 000 images originales offertes au public. Des photographies concoctées elles aussi par l'IA qui, avec douceur, imaginent ces dormeurs du Havre plongés dans un sommeil de conte d'enfant.

4 Nefeli Papadimouli, du vent dans les voiles

Ce fut une caserne des pompiers, c'est devenu la Résidence Blason. Dans sa cour intérieure un peu austère, au gré du vent de l'Atlantique, sept immenses voiles teintées s'agitent. Dix mètres sur douze sur sept, ces triangles seront hissés de temps à autre, par des performeurs transformant la cour en pontons du port.

Nefeli Papadimouli est une artiste grecque qui vit à Paris. Architecte de formation, diplômée des Beaux-Arts de Paris, elle explique à franceinfo Culture les couleurs de ces immenses toiles : "Les couleurs que je peins aux pinceaux à plat évoquent les couchers de soleil du nord, inspirées de Monet ou de Bia Davou, une artiste grecque que j'aime beaucoup."

Nefeli Papadimouli devant son œuvre "Sails" (Les Voiles) présentée au Havre. (CHRISTOPHE AIRAUD / FRANCEINFO CULTURE)
Nefeli Papadimouli devant son œuvre "Sails" (Les Voiles) présentée au Havre. (CHRISTOPHE AIRAUD / FRANCEINFO CULTURE)

Sails (Les Voiles) prouvent qu'Un été au Havre est aussi une déambulation au sein des œuvres. Il faut voir les regards vers le ciel des visiteurs, enfants ou adultes pour y lire le rêve de s'échapper le temps d'une visite. Et comme l'écrit Gaël Charbau dans la revue LH SIX.24 : "Ces voiles nous parlent de navigation, de départ, d'histoires ouvertes sur l'inconnu."

5 Didier Marcel, une Vénus fait la fontaine

Certaines œuvres d'Un été au Havre deviennent pérennes et habillent la cité. Près d'une vingtaine orne les rues, les plages et les places. Le voyageur découvre dès l'arrivée en gare les grandes baies vitrées aux vitraux qui illuminent le hall. Isabelle Cornaro transfigure ainsi une gare de peu de charme.

Si vous tournez à droite, à moins de cent mètres le voyageur découvrira cette année Niki. Une sculpture fontaine de Didier Marcel. Il y a quelques années, le sculpteur ramasse sur la plage, vers Étretat, un galet en forme de Vénus préhistorique. Agrandie vingt fois, naît ainsi cette œuvre. Hommages multiples, nous dit-il : "Elle a la taille de la Victoire de Samothrace, c'est une sculpture nourricière, une déesse de la victoire Niké, une déesse des marins, des guerrières, mais aussi un clin d'œil aux Nanas de Niki de Saint Phalle."

Didier Marcel et son œuvre "Niki". (CHRISTOPHE AIRAUD / FRANCEINFO CULTURE)
Didier Marcel et son œuvre "Niki". (CHRISTOPHE AIRAUD / FRANCEINFO CULTURE)

La Niki est installée à l'entrée de l'université du Havre. En nous présentant sa dernière création, le sourire aux lèvres, Didier Marcel cite Platon : "Nul n'entre ici, s'il n'est géomètre ou arpenteur." Et espère que la fontaine deviendra un lieu de rendez-vous et qu'elle sera ainsi un signe de la beauté, de l'art et des sciences qui se mêleront dans l'esprit des visiteurs.

"Niki", la sculpture de Didier Marcel, au Havre. (LAURENT LACHEVRE / MADEBYLORENZO.COM)
"Niki", la sculpture de Didier Marcel, au Havre. (LAURENT LACHEVRE / MADEBYLORENZO.COM)

6 Mali Arun explore un Havre inconnu

Rien ne vaut une salle de cinéma pour fuir la canicule, même en Normandie. Rendez-vous est donc pris au théâtre de l'Hôtel de Ville avec Mali Arun, réalisatrice. Pour Un été au Havre, elle a tourné dans des lieux mystérieux certains secrets de la ville. Le scénario : un conte moderne inspiré du mythe de Promethée et du Déluge. Prométhée a volé le feu sacré de l'Olympe pour en faire don aux humains. Mal lui en prit. Zeus le condamne à être attaché à un rocher, son foie dévoré par un aigle. Mali Arun compare le destin tragique de ce demi-dieu avec la ville du Havre, libérée mais détruite en 1944.

Image extraite de "Tempesta" de Mali Arun, présenté au Havre. (MALI ARUN)
Image extraite de "Tempesta" de Mali Arun, présenté au Havre. (MALI ARUN)

"Mali Arun sculpte la lumière et la sensualité", dit Gaël Charbau, directeur artistique d'Un été au Havre. Et la réalisatrice résume son propos en ces termes : "Je raconte la renaissance d'un territoire, c'est en écho entre le mythe et la réalité de cette ville."

7 Juliette Hauguel change le plan du Havre

Au Havre, il y a mille rues, soit mille noms de rues. Eh bien, 43 plaques portent un nom de femmes illustres ou pas. Soit 4%, pour la moitié de l'humanité. Juliette Hauguel, étudiante de l'École supérieure d'art et de design du Havre, a donc posé dans la ville des plaques de rues fictives au nom de femmes.

Il y a la rue Alice Guy, la cinéaste, la rue Junko Tabei, l'alpiniste ou Ada Lovelace. Vous ignorez tout d'elle ? Aujourd'hui, nous lui devons tous les progrès ou les désagréments de la vie moderne. En 1842, elle invente le premier programme informatique, soit l'ancêtre de l'ordinateur et de l'algorithme. Avec ses "disparues", la jeune étudiante du Havre fait du plan de la ville un nouveau dictionnaire de celles qui ont fait progresser le monde et ont été invisibilisées.

Juliette Hauguel devant son panneau de la rue imaginaire "Alice Milliat". (DR)
Juliette Hauguel devant son panneau de la rue imaginaire "Alice Milliat". (DR)

Le travail d'une autre étudiante mérite une ascension. Au 17e étage de la tour de l'Hôtel de Ville, une vue à couper le souffle, 360 degrés d'horizon. Là, le visiteur peut écouter la bande-son de Méline Grellier. Elle a conçu un univers sonore fait de bruits de vagues, de hurlements des klaxons des cargos, suivant les heures des marées, la bande-son du Havre évolue. Poétique, surtout, du haut de la tour.

9Le Bureau idéal restaure l'architecture de plage

Sur le front de mer, un kiosque vivotait, même dépérissait. L'une des rares constructions aux formes arrondies dans cet univers rectiligne bâti par Auguste Perret. Le duo du Bureau idéal s'est emparé du toit en forme de marguerite pour en faire une mosaïque joyeuse. Il y a du Matisse, du Léger et ils nous déclarent : "Le meilleur point de vue sera celui des oiseaux migrateurs. Au Havre, ils nous passent souvent au-dessus." Le courage des oiseaux bien maltraités méritait cela, aurait dit Dominique A.

Le duo du Bureau idéal et leur mosaïque sur le toit du kiosque du front de mer. (DR)
Le duo du Bureau idéal et leur mosaïque sur le toit du kiosque du front de mer. (DR)

10Richard Fauguet, le bricoleur malicieux de l'art

Dernière étape pour une rétrospective qui sonne années 1970. Son nom : Blue Oyster Cult. Son auteur : le facétieux Richard Fauguet. Le lieu : le Portique. "Je ne suis pas sculpteur, je suis colleur", déclare-t-il devant ses œuvres-assemblages de plats, de vases et d'amphores qui deviennent des totems en détournant ces objets. C'est un maître du rebond et du jeu, son œuvre est à la fois ludique, rock et détournant de chefs-d'œuvre comme d'objets banals du quotidien.

Richard Fauguet devant une de ses œuvres présentées au Havre. (CHRISTOPHE AIRAUD / FRANCEINFO CULTURE)
Richard Fauguet devant une de ses œuvres présentées au Havre. (CHRISTOPHE AIRAUD / FRANCEINFO CULTURE)

"Un été au Havre" jusqu'au 21 septembre 2025.

Ne pas rater aussi l'exposition "Paquebots 1913-1942, une esthétique transatlantique" au Musée d'art moderne André Malraux.

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